Contrairement à une iconographie symbolique répandue Joseph n’était sans doute pas vieux quand il épousa Marie. C’était probablement un jeune homme dans la force de l’âge, qui formait avec Marie un couple d’apparence normale, pour cacher, garder et protéger le secret de Dieu de tout mal et de toute curiosité.
Il est probable que pour écrire son Évangile, il a eu recours au « livret de famille » de saint Joseph, comme saint Luc à celui de la Vierge Marie, chacun des évangélistes nous présentant les événements retenus de telle manière que nous puissions en dégager la signification pour notre salut.
Au moment de devenir « époux de Marie », Joseph est probablement un jeune homme dans la force de l’âge, comptant vraisemblablement une bonne vingtaine d’années : le Talmud, qui explicite la Tradition juive, recommande en effet de se marier de bonne heure. L’âge de 18 ans est préconisé, à condition que le futur époux et père soit capable de pourvoir aux besoins matériels d’une famille : « Un homme doit en premier lieu bâtir sa maison, ensuite planter une vigne, ensuite se marier ». Le grand âge de Joseph, dans une certaine iconographie ou le Protévangile de Jacques (9,2), est un langage symbolique qui veut signifier l’absence de relations charnelles entre les époux, mais n’a nullement l’intention de suggérer que le saint Joseph de l’histoire était un vieillard au moment d’épouser Marie.
Ce souci de souligner la filiation divine du Christ et la conception virginale de Marie se retrouve dans les apocryphes qui ont contribué à nourrir le culte de saint Joseph mais qui l’ont parfois aiguillé sur des pistes peu fécondes : le Protévangile de Jacques, le Pseudo Matthieu, le Livre de la Nativité de Marie, l’Histoire de Joseph présentent ainsi saint Joseph sous les traits d’un vieillard veuf ayant eu plusieurs fils et filles. Mais outre le fait que le Talmud condamne sévèrement l’excessive différence d’âge entre les époux, un tel mariage ne remplirait pas son rôle providentiel, à savoir de préserver aux yeux des hommes l’honneur et la dignité de Marie. Dans les catacombes, Joseph est d’ailleurs représenté comme un homme jeune en pleine vigueur, et jamais sous les traits d’un vieillard. Et quand il apparaît comme à Cotignac en 1660 à Gaspard Ricard, il se présente aussi selon les termes du récit sous la forme d’un homme robuste et « d’imposante stature ».
Dans la seconde homélie Missus est sur les gloires de la Vierge Marie, saint Bernard ajoute un argument moins scripturaire mais très intéressant : « Il était nécessaire que Marie fut fiancée à Joseph, puisque c’était le moyen de soustraire aux chiens un saint mystère, de faire constater par son propre époux la virginité de Marie, et de ménager en même temps la pudeur et la réputation de la Vierge. Par ce moyen, les secrets desseins de Dieu ont un témoin, se trouvent soustraits à la reconnaissance de l’ennemi, et l’honneur de la Vierge Mère est conservé sans tache » (n° 13). Les « chiens » ne sont autres que les démons ; « l’ennemi » identifie Satan, qu’il convenait de garder éloigné du mystère. Connaissant la prophétie d’Isaïe : « Voici que la jeune fille concevra, et elle enfantera un fils » (Isaïe 7, 14), il aurait soupçonné la Vierge Marie, enceinte sans être engagée dans le mariage, d’être celle que désignait le prophète. Mais le démon ne se méfierait pas de ce jeune couple accueillant un enfant : quoi de plus ordinaire ? Ainsi, sans le saint mariage de Marie et de Joseph, « les démons n’auraient point ignoré ce qu’ils auraient eu un moyen de connaître. Or il fallait que le Prince de ce monde ne fût point instruit, pendant quelque temps du moins, du secret des desseins de Dieu. Ce n’est pas que Dieu ait appréhendé, s’il agissait ouvertement, d’être entravé dans son entreprise par le démon, mais c’est que, faisant tout ce qu’il veut, non seulement avec puissance, mais encore avec sagesse, il voulut, dans l’œuvre merveilleuse de notre rédemption, faire éclater sa prudence non moins que sa puissance, de même que, en toutes ses œuvres, il se plaît à observer certaines convenances des choses et de temps dans l’intérêt de la beauté de l’ordre même » (Ibid.).
Pour imaginer reconstituer le personnage de Joseph, le père Denis Buzy (1883-1965) - qui fut supérieur général des Prêtres du Sacré-Cœur de Bétharam - se laisse conduire par un raisonnement partant des Écritures : « David était beau (1 Samuel 16,12), beau de visage, beau de cheveux, qu’il avait blonds ; beau de taille, qu’il avait avantageuse, même en ce printemps de sa jeunesse ; beau de force, car il se mesurait avec le lion ou l’ours du désert. La beauté de David a passé à tous ses descendants ; l’Écriture le signale, même quand ses fils ont fait de cette dangereuse beauté un usage criminel. (...) Nous pouvons dès lors supposer que cette beauté initiale, raffinée par des siècles de royauté et de malheurs, se conserva et se perpétua en l’époux de “la plus belle des femmes“ (Cantique 1, 8) ».
« Il devait en être ainsi puisque la tige de Jessé allait, après un millénaire de préparation et d’élaboration, s’épanouir en une fleur merveilleuse, et que la Vierge Marie devait donner le jour à Jésus, le plus beau des enfants des hommes (Psaume 44, 3). Fils de David, choisi par Dieu pour devenir le père nourricier du plus beau des enfants, qui pourrait douter que Joseph n’eût reçu cet héritage de sa race ? Il devait être beau de jeunesse, beau de visage, beau de taille, beau de force, beau de candeur. Il était beau. Et la vertu ajoutait son charme à cette beauté » (D. Buzy, Saint Joseph, éd. de l’École, Paris, 1953, p. 14-15.).
Les grandeurs de Saint Joseph de Jean-Jacques Olier (1608-1657), fondateur de la communauté et du séminaire de Saint-Sulpice, comptent sans doute parmi les plus belles pages sur l’époux de Marie. Pour M. Olier, saint Joseph devait rendre perceptibles pour l’Enfant divin, les perfections adorables de Dieu son Père : « Ses beautés, sa pureté, son amour, sa sagesse et sa prudence, sa miséricorde et sa compassion ». Pour pouvoir être ainsi « l’image universelle de Dieu le Père en terre », saint Joseph a dû recevoir de Dieu une ressemblance de sa nature invisible et cachée : « Dieu le Père forme exprès de ses mains pour se figurer soi-même à son Fils unique, et lui mettre sans cesse devant les yeux son vrai portrait et son image comme une compensation dans le temps de son absence et une sorte de soulagement durant les années de son pèlerinage » (Les grandeurs de Saint Joseph I 1, 1). Pour Jean-Jacques Olier, de tels privilèges mettent saint Joseph hors d’état d’être compris par les esprits des hommes. C’est donc par la foi que nous sommes invités à vénérer en saint Joseph ce que nous ne saurions comprendre.
Dans son ouvrage La Vierge Marie, Jean Guitton (1901-1999) s’imagine « un Joseph jeune et fort, sylvestre, vivace comme ce berger libanais qui est décrit dans le Cantique. Plusieurs jeunes héros que la vie m’a permis de connaître aux champs et dans les armées, m’ont proposé ce genre d’homme au clair regard : paysans, soldats, aviateurs ; le mâle et le pur, associés dans un même éclat ».
Dans une lettre qu’il écrit le 24 mars 1911 depuis Prague à son ami Sylvain Pitt, Paul Claudel (1868-1955) se risque à quelques confidences sur la manière dont il se représente saint Joseph : « C’était à la fois un ouvrier et un gentilhomme. Il était souriant et silencieux, avec un grand nez noble, des bras musculeux et des mains dont un doigt était souvent enveloppé d’un linge comme il arrive à ceux qui travaillent le bois. Je le vois dans sa boutique un matin de soleil, j’entends la scie et le bruit sonore des morceaux de bois, j’entends un enfant qui vient le chercher et qui crie : "Joseph ! Joseph !" Sa boutique devait être chérie des enfants comme le sont toujours celles des menuisiers ».
« Puis je le vois qui revient de Jérusalem à l’étonnement de tout le monde, avec sa fiancée si jeune et si douce. Je les vois quand ils arrivent et la voisine complaisante qui avait préparé le ménage. Que de commentaires sur tout cela le soir à la fontaine ! Joseph est le patron de la vie cachée, l’Écriture ne rapporte pas de lui un seul mot. C’est le silence qui est père du Verbe. Que de contrastes chez lui ! Il est le patron des célibataires et celui des pères de famille, celui des laïcs et celui des contemplatifs ! Celui des prêtres et celui des hommes d’affaires. Car Joseph était charpentier. Il était obligé de discuter avec les clients et de signer de petits contrats, de poursuivre les débiteurs récalcitrants, de plaider, de compromettre, d’acheter ses fournitures au meilleur compte en réfléchissant sur les occasions, etc. » (P. Claudel, Positions et propositions, II, Gallimard, Paris, 1934, p. 147-148.)