Durant sa vie terrestre et pour assumer sa mission de nourricier, de gardien et d'éducateur du Fils de Dieu, Joseph est comme l'ombre du Père pour reprendre le beau titre d'un livre du Père André Doze, ancien chapelain de Lourdes, dont nous reproduisons ci-dessous la pensée :
Jésus est né à Noël pour finir sur la croix et toute son enfance, sa jeunesse et sa vie adulte n'ont été qu'une préparation à cette heure terrible et glorieuse de sa mort sur la croix, de ce grand passage de la Pâque qu’il désirait « d’un grand désir ».
La première période de la vie de Jésus, c'est son enfance. Cette période dure toujours et se termine par la scène du recouvrement au temple. C'est une scène profondément dramatique, où Marie connaît, ainsi que Joseph, une affreuse angoisse et où Jésus va prendre un chemin qui semble déconcertant au plus haut point. cette scène marque une rupture, une sorte de mort : une époque finit, une autre commence, marquée par une vie ici laborieuse et si effacée que Bossuet n'hésitera pas à appeler « un état d'anéantissement ».
À la fin de la vie de son fils, Marie connaîtra sa compassion en même temps que la passion du Seigneur, mais lorsqu'elle perdit son fils pendant trois jours, les souffrances de Marie entraînèrent la nature de Marie jusqu'aux dernières limites de sa faculté de souffrir.
C'est Marie qu'il inaugure en recevant l'ange Gabriel. Elle forme le corps du Christ, elle éveille son âme.
Jésus va résumer d'un mot court, mais parfaitement expressif ce qu'il a vécu pendant 18 ans. « Ce que le fils voit faire à son père, il le fait de même » (Jean 5 v.19)
La Vierge Marie, sa mère, dans l'Esprit saint, appelle Joseph « ton père » devant de Jésus. Jésus paraît profondément déconcerté : « Pourquoi » me cherche-t-on ? Ne sait on que je dois doit être chez mon père ? Oui, il sera « chez son père » en habitant chez Joseph. Il fera la volonté du père, en obéissant à Joseph. Rien n'est plus surprenant.
Il me semble que le nom de Jésus devait avoir pour Joseph des secrets étonnants. Il me semble que son humilité devait prendre, quand il commandait, des proportions gigantesques, incommensurables avec les sentiments connus. Son humilité devait rejoindre son silence.
Jésus se prépare à montrer aux hommes le vrai visage du Père, chez son père ; il se prépare à la mort avec celui que l'on regardera comme le patron de la bonne mort. De fait, c'est bien alors que Jésus vit l'enfouissement du grain de blé dont il parlera peu avant sa mort. C'est alors qu'il élabore son évangile.
Elles sont pour nous un terme, un sommet, un but. Nous marchons vers ce « commencement ». En utilisant un symbolisme simple qui nous est directement proposé par la réalité spirituelle, nous marchons de trois et nous marchons vers 12. Trois exprime le mystère de Dieu. 12, qui représente dans la vie du Seigneur, le temps de l'innocence, de la pureté, de la simplicité, de l'amour, est devenu le nombre de l'Eglise, fondée sur les 12 apôtres et évoqué par les 12 étoiles qui couronnent la femme revêtue du soleil au chapitre 12 de l'Apocalypse.
C'est là qu'entre en jeu le formidable secret de cette période intermédiaire, celle qui dure 18 ans dans la vie de Jésus, cette période qui passionnait littéralement le père de Foucauld : le temps de Joseph, ce Joseph, « fils de David », à qui Dieu le Père a confié l'immaculée, son fils unique, l'incarnation, l'Eglise.
Nous touchons ici à la racine même du renversement. Il y a renversement dans le fait que Dieu devienne homme pour que l'homme devienne Dieu, mais ce qui est inattendu c'est que l'un et l'autre, Dieu est l'homme, doive « apprendre le métier » pour parler comme sainte Thérèse de l'enfant Jésus, avec un couple ! Voilà où se trouve le scandale de ce renversement ! Quelle est la première action libre de Jésus, fils unique du Père ? Cherchez la volonté du Père. Avec ses parents terrestres, il « monte » à Jérusalem, la cité de David où, il le sait, tout doit se dérouler…Or, sur une parole de Marie (donc, il le sait aussi, une parole inspirée par l'Esprit), il lui faut « descendre », regagner Nazareth, ce trou innomé. Il avait quitté ses parents terrestres pour retrouver ses parents éternels, le Père et l'Esprit. Il doit obéir au père, à travers le silencieux Joseph, en reconnaissant l'Esprit à travers la voix de Marie, sa mère. Cette obéissance obscure, s'il en est, durera 18 ans !
Jésus avait dit à la sainte Thérèse d'Avila, dans les années 1560, qu'elle devait construire un nouveau Carmel, confié à saint Joseph et il précise que cet établissement aura deux portes : la porte gardée par Joseph et la porte gardée par Marie. Jésus, lui, se tiendrait au milieu. Dès qu'on arrive à la porte gardée par Joseph, on ne sait plus rien dire avec les mots avant. Silence et nuit attendent l'heureux mortel que Marie a pu guider jusque-là... On a quitté le temple où l'on avait ses habitudes ; là, le chemin était balisé depuis longtemps, on demandait conseil aux docteurs, on faisait son examen de conscience, comme on avait appris à le faire et on pouvait se comparer au modèle proposé. Ici il n'y a plus de modèle, ou plutôt le modèle ne cesse d'évoluer : « il progresse en sagesse, en taille et en faveur auprès de Dieu et auprès des hommes ». Tout est déconcertant parce que tout est tellement simple ! Tellement commun !
Le temple, c'est le sommet de ce que l'on pourrait appeler la vie adulte du chrétien qui a reçu le message de l'Évangile... Et pourtant, la vie spirituelle n'est même pas commencée.... Une expérience cruciale n'a pas encore eu lieu : exactement celle que Jésus doit connaître en passant la porte de la « maison » de Joseph à Nazareth : l'adulte humain reste l'adulte humain et le devient de plus en plus, mais le coeur profond est initié à une expérience toute nouvelle, il ne s'appartient plus. Le temps de Joseph commence, temps d'obscurité, d'obéissance... Le temps de Joseph c'est celui où on apprend à recevoir les dons de Dieu. La vraie sagesse, la vraie pureté se reçoivent et ne se conquièrent pas par l'étude, la volonté ou l'entraînement d'un puissant courroux... Mystérieusement, et sans vraiment savoir comment, l'enfant de Nazareth reçoit.
L'oraison est la clé de ce passage du psychisme (appelé communément âme) à l'Esprit... L'oraison amène à passer par « cette petite porte ». Dieu est totalement autre, plus il s'approche, moins on le sent. Il faut en prendre son parti et croire quand même, aimer quand même. Cette grâce ne peut être reçue qu’avec la simplicité d'un enfant puisque, par définition, non seulement il adulte n'y connaît rien, mais encore ses idées sont faussées. Il est indispensable qu'il s'ouvre à d'autres idées, à d'autres expériences qu’il ne connaît pas, exactement comme Jésus a dû renoncer à la tradition millénaire du temple de son père pour disparaître dans un atelier obscur. Ce que Jésus a vécu, il nous faut le revivre.
Relisons ce qu'écrivait Thérèse et que Bernadette reprendra dans les mêmes termes : « Que celui qui n'aura pas de maître dans l'oraison prenne ce glorieux saint Joseph, il ne risquera pas de s'égarer »... « Quand on ne sait pas prier, on demande à saint Joseph ! »... « Saint Joseph est un des saints qui doit nous être le plus cher : c'est la dévotion du coeur qu'il faut lui demander ! »
Qui a la lumière des anges pour savoir ce qu'il faut faire, en pleine nuit ; c’est saint Joseph et lui seul. Avec qui le fils de Dieu va-t-il se former à la magnifique prière juive ? Avec saint Joseph, le père de famille, maître de la liturgie familiale, et cela pendant tant d'années !
Pourquoi l'oraison ? Pour permettre à un pauvre homme de se trouver sur le trajet qui va du fils au père et du père au Fils, ni plus ni moins. Le père ne connaît et ne peut aimer que son fils unique : quand nous vivons dans la Sainte famille, l'Esprit engendre continuellement le fils dans notre Esprit, grâce à notre âme dont Marie se charge particulièrement, tandis que Joseph veille à ce que notre corps soit protégé, équipé comme il faut.
C'est par Marie que l'Esprit descend toujours. C'est par son Esprit que Dieu exerce cette maternité infiniment précieuse pour nous et c'est par Marie que l'Esprit nous rejoint en tant que force maternelle et force de miséricorde. Marie a joué terrestrement le rôle qui, dans la Trinité, revient à l'Esprit Saint.
la période qui mène Jésus de l’âge de 12 ans à l’âge de 30 ans est une période clé, non seulement de la vie de Jésus, mais par le fait même, de la vie du monde. Clé de l'humanisation de Dieu sur la terre, elle est aussi clé de la divinisation de l'homme. C'est pourquoi cette période de 18 ans est si cachée, si mystérieuse dans sa simplicité car nous pouvons supposer, à vue humaine, qu’il ne s'y est rien passé de notable, sans cela l'écriture en aurait parlé. En fait, tout ceux qui ont été en vérité touchés par la rencontre de Jésus-Christ, ils sont innombrables, pourraient dire avec Paul VI.
« Nazareth est l'école où l'on commence à comprendre la vie de Jésus : l'école de l'Évangile. Ici, on apprend à regarder, à écouter, à méditer et à pénétrer la signification si profonde et si mystérieuse de cette très simple, très humble et très belle manifestation du fils de Dieu. Peut-être apprend-on même insensiblement à imiter. Ici, on apprend la méthode qui nous permettra de comprendre qui est le Christ -- ô comme nous voudrions redevenir enfants et nous remettre à cette humble et sublime école de Nazareth, comme nous voudrions, près de Marie, recommencer à acquérir la vraie science de la vie et la sagesse supérieure des vérités divines ! »
Cette période dure 18 ans. Comparée à l'ensemble des années de Jésus, cette période est considérable : Jésus à 30 ans, lorsque commence la vie publique.
Qui fait découvrir à Marie et à Joseph les perspectives inconnues de l'incarnation et les actions concrètes qui sont indispensables ? Les anges ! « En vérité, en vérité, je vous le dis, vous verrez le ciel ouvert et les anges de Dieu montaient et descendre au-dessus du fils de l'homme » (Jean 1 v. 51)... « Gardez-vous de mépriser aucun de ces petits, car, je vous le dis, aux cieux leurs anges se tiennent sans cesse en présence de mon père qui est aux cieux » (Mathieu 18 v. 10). En d'autres termes il est impossible de « voir » sans devenir comme un enfant... Les anges sont si humbles, si effacés, si adaptés à nos circuits psychologiques, si personnels, dans cette sollicitude maternelle, qu'ils puisent directement dans l'Esprit d'amour.
12 ans plus tard, c'est au tour des docteurs d'Israël de s'émerveiller du festival spirituel que leur offre Jésus. Mais l'Esprit Saint, par Marie, silencieusement soutenue par Joseph, fait « descendre » Jésus à Nazareth.
Le père et le fils ne pouvaient vraiment entrer en relation que chez Joseph et Marie. Spirituellement, ce sont les anges qui sont chargés de nous montrer les réalités divines. Ils sont indispensables pour nous aider à voir les réalités spirituelles qui nous attendent, dans ce trajet obscur dont le Père éternel a chargé Joseph et qui nous mène vers ce « jardin clos et sa source scellée »
Joseph est le gardien de la porte. L'enjeu est si formidable que Dieu veut faire, avec Jérusalem, ce qu'il fait avec toutes les réalités spirituelles : Jésus est caché soigneusement pendant 30 ans ; les anges ne se montrent jamais, sauf en de très rares exceptions ; l'Esprit Saint est totalement invisible. Là où Jésus, secrètement, construit tous les jours son Eglise - puisque la force de son sang lui permet de demander au père, pour nous, le don des dons, l'Esprit Saint - nous commençons à l'entrevoir : c'est par cette femme si humble, appelé Marie, que l'Esprit Saint « descend » et c'est par cet homme, non moins humble, Joseph, « ombre du très haut », qu'il peut « demeurer »... L'Esprit ne demeure que chez Joseph, « celui qui garde la porte ».
Il fera une brève et brillante apparition dans la vieille citée de David, au moment où il accède à sa maturité et c’est là, dans le temple « la maison de son père » qu'il proclamera à la face de tous, à quel point sa vie est tout entière orientée vers le Père mais que, pour retrouver le Père en vérité, il lui faut quitter justement ce lieu splendide et rejoindre les abaissements de Nazareth. Lorsque, « résolument », il reprendra ultérieurement le chemin de Jérusalem, ce n'est pas pour y paraître dans sa gloire, c'est pour y mourir misérablement de la main des hommes.
Les vrais adorateurs ne peuvent se former que là où le fils s'est formé, avec les parents que le Fils a reçu du Père et auquel il a voulu se soumettre si longtemps... C'est à Nazareth, avec leur infinie discrétion et leur redoutable efficacité que les anges se donnent rendez-vous. Nazareth était un ciel, un paradis sur la terre, des délices sans fin dans un lieu de douleur.
Jésus, je ne m'étonne pas si vous demeurez 30 ans dans cette maison de Joseph, si vous êtes inséparable de sa personne. La maison de Joseph seule vous est un paradis ; sa maison est pour vous le sein de votre Père dont vous êtes inséparables et dans lequel vous prenez vos délices éternels. Hors de cette maison, vous ne trouvez que des objets funestes.
On comprendra pourquoi il est si important, pour la mère de Dieu, à qui a été confiée cette descente de l'Esprit, de pouvoir dire à chacun de nous. « Mon enfant, ton père et moi nous te cherchions tout angoissés ! » Cet appel résonne au long des siècles, mais il est peu entendu... C'est le moins que l'on puisse dire !
Dans l’oraison, il nous faut cesser de réfléchir, il nous faut cesser d'agir. Il faut accepter de donner à Dieu, régulièrement, tous les jours, un temps où il ne se passe rien, souvent, à vues humaines ; un temps où l'on peut s'ennuyer, à temps perdu... les anges, avec leur légendaire discrétion, totalement insaisissable à notre conscience habituelle, ne laisserons rien perdre ! Il ne faut pas que l’oraison soit longue, surtout pour les débutants, un quart d'heure, une demi-heure suffit ; mais il faut qu'elle soit, sous peine de rendre impossible le merveilleux trajet de l'incarnation en nous.
Il nous apprend à nous ennuyer joyeusement, à faire de ce « temps perdu » la porte de toutes les découvertes, de toutes les purifications, de toutes les simplifications.
la joie des anges, c'est de nous quitter, de s'effacer devant infiniment plus grand qu’eux. Non seulement ils préparent directement la descente du Saint Esprit, mais surtout lui permettent de demeurer, en faisant un travail qu’eux seuls peuvent le faire, ôter l’ivraie pour la brûler.
Comme Bernadette, après un long trajet, plein d'embûches et de danger, nous pouvons dire en vérité, parce que, sans comprendre, sans dominer, nous voyons clairement : « Maintenant, mon père, c'est Joseph ! » C'est du coeur de « l'autre monde » qu'elle disait cette parole, à partir du coeur de Jésus ne faisant qu'un avec son coeur, recueillant sans faille l'Esprit découlant de Marie, comme de l'eau coulant de l'aqueduc.
Remarquons cette merveille, pour entrer plus avant dans la vérité :
1. Dans un premier temps, les 12 premières années de Jésus, Joseph et Marie sont tendues vers cet enfant qui les unit et qui, à travers eux, unit le corps et l’âme, la terre et le ciel.
2. Dans un deuxième temps, au cours de la scène du temple, c'est Marie, le troisième terme mystérieux vers lequel regardent les deux autres (jésus et Joseph): c'est Marie qui fait se rencontrer de manière entièrement nouvelle le père et le fils
3. Enfin, dans le troisième temps, les 18 années de labeur obscur, Jésus et Marie sont entièrement soumis à Joseph.
La vie de Jésus commence dans l'innocence et la beauté dépouillée de Noël pour marcher, douloureusement, vers la croix. Le chrétien nait sur la croix et son baptême lui permet intérioriser d'abord, la résurrection et l'Ascension du Seigneur, principe de sa vie nouvelle : il doit, ensuite, marcher avec confiance vers le mystère de l'enfance pour se préparer à la vie éternelle.