Les évangiles sont particulièrement discrets à propos de Joseph : seuls Matthieu et Luc le nomment directement ; l’évangéliste Marc est muet à son sujet, et saint Jean ne l'évoque que deux fois, indirectement : « Jésus, fils de Joseph » (Jean 1,45; 6,42). Les écritures ne nous rapportent ainsi aucune parole de Joseph. Les récits inspirés ne nous précisent ni le lieu, ni la date de sa naissance ; lui-même n’a laissé aucun écrit. Mais à travers tout cela, il y a un enseignement divin : c’est à l’écoute de son silence que nous sommes invités, car c’est un silence éloquent, qui est – comme nous allons le voir bientôt – à l’image du silence du Père, qui ne parle que par le don de son Fils, par la bouche de son Fils, par l’offrande de son Fils. « Le silence de Joseph a une portée particulière », insiste Jean-Paul II : « Grâce à lui, on peut saisir pleinement la vérité contenue dans le jugement que l'évangile émet sur Joseph : le "juste" (Mt 1,19). Il faut savoir lire cette vérité, car elle contient l'un des témoignages les plus importants sur l'homme et sur sa vocation. »
Marie et Joseph n’étaient ni l’un ni l’autre de grands bavards. Après l’Annonciation, Marie n’a rien dit. Elle a laissé agir Dieu qui a effectivement montré qu’il pouvait faire connaître son secret à qui il le voulait, quand il le voulait, par l’Esprit Saint :
à élisabeth d’abord « remplie d’Esprit Saint » (Lc 1,41-45),
puis à Joseph en « songe » (Mt 1,20-21),
puis au vieillard Syméon – sans doute Syméon Boethos, ancien Grand Prêtre, en 25 av J.-C. – venu « sous l’action de l’Esprit Saint » qui lui avait révélé « qu’il ne verrait pas la mort avant d’avoir vu le Christ, le Messie du Seigneur » (Lc 2,25-34),
puis à la « prophétesse » Anne (Lc 2,36-38),
et enfin aux rois Mages qui ont appris la nouvelle par ce moyen particulier et original d’une « étoile à l’Orient » (Mt 2,2).
Marie et Joseph n’ont rien dit : car il convient de « garder les secrets du Roi », comme l’Archange Raphae¨l l’enseignait à Tobie (Tb 12,7-11). Mais si les secrets sont révélés avant l’heure, les choses peuvent très mal tourner. C’est ainsi que quand Hérode le Grand apprit ce qu’il ne devait pas savoir, il fit massacrer tous les nouveaux-nés de Bethléem (Mt 2,16). Ce ne sont donc pas seulement les actes de Joseph qui ont protégé Jésus : son silence et sa discrétion furent aussi matériellement importants. Mais le silence de Joseph a surtout une portée spirituelle.
« Mets une garde sur ta bouche », prévient le psalmiste (Ps 141,3). « Qui garde sa bouche, garde sa vie », alerte le livre des Proverbes (Pv 13,3). « Shema Israe¨l » - « écoute Israe¨l », dit le Seigneur, exigeant de son peuple qu’il close ses lèvres pour mieux ouvrir ses oreilles. « Chacun doit être prompt à écouter, lent à parler, lent à la colère, car la colère de l’homme ne réalise pas ce qui est juste selon Dieu.(...) Si l’on pense être quelqu’un de religieux sans mettre un frein à sa langue, on se trompe soi-même, une telle religion est sans valeur », nous dit encore saint Jacques (Jc 1,19-26).
Dans le silence, « un ange passe » dit-on, car par le silence peut se faire jour la verticalité de notre monde, la trace invisible de la présence divine : le silence est plein d’une présence cachée.
Dans le premier Livre des Rois, au chapitre 19, le prophète élie s’enfuit dans le désert pour échapper à ses ennemis et rencontrer Dieu. Il se réfugie dans une caverne à l’Horeb, la montagne de Dieu. Le Seigneur se manifeste alors à lui : « à l’approche du Seigneur, il y eut un ouragan, si fort et si violent qu’il fendait les montagnes et brisait les rochers, mais le Seigneur n’était pas dans l’ouragan ; et après l’ouragan, il y eut un tremblement de terre, mais le Seigneur n’était pas dans le tremblement de terre; et après ce tremblement de terre, un feu, mais le Seigneur n’était pas dans ce feu; et après ce feu, la "voix d’un profond silence". » Le prophète découvre alors que le silence lui parle et qu’il signifie le passage de Dieu. Cette « voix du silence », Joseph nous convie à l’entendre et à l’épouser, car, par elle, le Seigneur nous parle et nourrit notre vie intérieure avec lui ainsi que notre contemplation de toute la Création qui parle de lui.
C’est ainsi aussi que Charles de Foucauld voit la vie de Joseph et Marie après Noe¨l : « Désormais partagée en deux occupations : l’adoration immobile et silencieuse, et les caresses, les soins empressés et dévoués et bien tendres à Jésus. Mais, soit immobile, soit agissante, votre contemplation ne cesse pas; vos cœurs, vos esprits, vos âmes ne cessent d’être noyés et perdus dans l’amour. Faites que ma vie se conforme à la vôtre, ô parents bénis, qu’elle se passe comme la vôtre à adorer Jésus ou à agir pour lui, toujours abîmé dans son amour en lui, par lui et pour lui. »
Jean-Paul II parle au sujet de Joseph de « son insondable vie intérieure, d’ou` lui viennent des ordres et des réconforts tout à fait particuliers et d’ou` découlent pour lui la logique et la force, propre aux âmes simples et transparentes, des grandes décisions, comme celle de mettre aussitôt à la disposition des desseins divins sa liberté, sa vocation humaine légitime, son bonheur conjugal, acceptant la condition, la responsabilité et le poids de la famille et renonçant, au profit d’un amour virginal incomparable, à l’amour conjugal naturel qui la constitue et l’alimente ».
Sainte Thérèse d’Avila encourage « les âmes d’oraison, en particulier » à lui rendre « un culte tout filial. Je ne sais d’ailleurs comment on pourrait penser à la Reine des Anges et à toutes les souffrances qu’elle a endurées en compagnie de l’Enfant-Jésus, sans remercier saint Joseph de les avoir si bien aidés alors, l’un et l’autre ». Avant d’ajouter son fameux conseil : « Que celui qui n’a pas de maître pour lui enseigner l’oraison prenne ce glorieux saint pour guide et il ne risquera pas de s’égarer. »
Jean-Paul II disait également : « Dans l’ordre de l’esprit, le silence est l’état d’ou` naissent les valeurs les plus précieuses. »
Mais aujourd’hui, qui donc aime le silence qui ouvre à Dieu ?